05/05/2008

Témoignage d'enfant: " j'ai grandi dans une secte religieuse "

"La secte impose une fermeture physique et psychologique qui offre un terrain favorable aux abus".
Par Stéphanie Martin pour le quotidien le Soleil du Québec

Claudine se souvient très bien de son enfance. Les joyeuses parties de cartes avec les oncles et les tantes, la vie simple et tranquille. Jusqu’à ce que tout bascule, alors qu’elle avait neuf ans, quand son père a entraîné la famille dans une secte religieuse. «Cela a détruit notre famille.»

Claudine, ce n’est pas son vrai nom. Même plusieurs années après être sortie du groupe, elle ne veut pas être identifiée. Elle refuse aussi que la secte soit nommée, car certains membres de sa famille en font toujours partie, dont ses parents.

Du jour au lendemain, la petite fille et ses neuf frères et sœurs se sont vu imposer un mode de vie ultrarigide basé sur des principes religieux. Modestie absolue pour les femmes — ce qui implique une entière soumission aux hommes —, code vestimentaire très strict, participation obligatoire à des messes, des prières et des congrès, pèlerinages pour assister aux apparitions de la Vierge.

Progressivement, les enfants ont été coupés du reste de leur famille, puis du monde en général. Chez eux, la télévision était interdite, car elle était considérée comme un objet démoniaque. La peur de l’Apocalypse hantait leur quotidien.

Claudine a eu la chance d’aller à l’école. Mais ce n’était pas le cas de la plupart des enfants des adeptes. Sur recommandation des grands pontifes du groupe religieux, on leur enseignait à la maison. «Mais il n’y avait aucun encadrement, aucun manuel scolaire fourni. Ça faisait des enfants asociaux, qui n’avaient pas de scolarité, des illettrés», raconte Claudine.

Pour elle, les années scolaires ont été difficiles. La petite, affublée de vêtements «différents», essuyait constamment les moqueries. «J’ai beaucoup souffert de cela. De devoir lutter contre le ridicule.»

Mais le pire, c’était l’atmosphère invivable à la maison. Soumise au contrôle et aux pressions extrêmes de la secte, la mère est devenue violente. Les dirigeants exigeaient des parents une sévérité malsaine. «Quand ma mère revenait d’une rencontre avec la directrice, on en mangeait une, dit Claudine. On était bombardés par notre mère.» Un jour, elle a failli mourir, étranglée par celle qui lui a donné la vie.

Excédée, Claudine a fui la maison familiale à 17 ans pour devenir de son propre gré bénévole... à la maison-mère de la secte. Elle y a passé 12 ans, jusqu’à se rendre malade. Puis, elle a trouvé la force d’en sortir, et de se lancer tête première dans ce monde qu’elle croyait peuplé de forces sataniques. «Je me suis sentie perdue. Je ne pensais jamais être capable d’intégrer le monde.» Pourtant, elle y est parvenue. Au prix d’un divorce et de nombreuses thérapies, qui l’ont aidée à faire la paix avec son passé.


Quand la doctrine justifie les pires abus


Au Québec, depuis des années, un nombre indéterminé d’enfants naissent au sein de grou­pes sectaires, sans jamais que leurs noms apparaissent au registre de l’État civil. D’autres y sont emmenés par leurs parents dès leur plus jeune âge et y passent leur enfance. Levée de voile sur l’un des plus grands tabous de notre société.

C’est un drame dont on ne parle à peu près jamais. Sauf quand des scandales sont mis au jour et étalés dans les médias. Comme c’est le cas actuellement avec la secte Yearning for Zion, démantelée au Texas, et de laquelle on a retiré plus de 460 enfants. On y encourageait la polygamie et les mariages entre personnes d’une même famille.

Le phénomène est certes marginal, mais néanmoins réel et, ce qui est très préoccupant, il se produit à l’échelle mondiale, s’inquiète Lorraine Derocher, chercheuse au groupe de recherche Société, droit et religions de l’Université de Sherbrooke, et auteure de Vivre son enfance au sein d’une secte religieuse, fraîchement sorti sur les tablettes.

Pour la rédaction de son ouvrage, elle a réalisé des entrevues avec sept adultes qui ont passé toute ou une partie de leur enfance au sein de groupes sectaires extrêmement fermés. Les récits donnent froid dans le dos. Il y a ce jeune garçon qui, à huit ans, kidnappé par son père, s’est réveillé loin de sa mère et de ses amis, dans un monastère où il devait travailler comme un forcené. Ou cette adolescente à qui on a imposé des rituels sexuels de «purification».


Fermeture


La secte est en rupture contestataire avec les valeurs dominantes de la société, explique Mme Derocher. Elle impose une fermeture physique et psychologique qui offre un terrain favorable aux abus.

Endoctrinés dès leur plus jeune âge, élevés dans la peur du monde extérieur, les enfants ne connaissent souvent qu’une seule réalité : celle de la secte, où «tout est justifié par le discours religieux». Un univers où il est normal d’être battu, négligé, violé, abusé.

«C’est ce qui est le plus grave», estime la chercheuse. Quand un acte sexuel ou violent est présenté à un enfant comme un rituel sacré, cela fausse toute sa perception. «Tu n’as jamais l’impression d’être forcée, (ni) d’être violée, même si tu l’es. C’est comme la pilule du viol, mais là, tu es endormie par la religion. (...) Je faisais ça pour Dieu», relate une femme dans l’ouvrage de Mme Derocher.

Les parents devaient protéger les enfants. Au lieu de cela, ils ont cautionné les abus, déplore Mike Kropveld, directeur général d’Info-Secte. La plupart du temps, les jeunes n’ont jamais fréquenté l’école, ou même le médecin. Ils n’ont donc jamais reçu de cours de sexualité.

Et malgré l’ignorance dans laquelle elles sont enfermées, il se produit chez certaines personnes un déclic, une urgence de partir. Soit parce que les attentes démesurées des parents se font insupportables, que la santé flanche, que les abus sont trop nombreux ou qu’un contact avec l’extérieur provoque un éveil. Et alors survient le choc des réalités.

Comme un immigrant dans son propre pays

Est-ce possible de n’avoir aucune idée de ce qu’est une carte de crédit, de qui est Mickey Mouse ou de l’utilité d’un curriculum vitæ? Les enfants des sectes, quand ils en sortent, partent de loin.

«Une personne me disait que c’est comme être immigrant dans son propre pays», illustre Mike Kropveld, directeur général d’Info-Secte. Les obstacles à l’intégration sont nombreux.

D’abord, pour les enfants des sectes, le monde extérieur est le repaire du malin. L’affronter est extrêmement angoissant. Souvent, dit M. Kropveld, ils se retrouvent sans le sou et la seule lutte pour leur survie accapare toute leur énergie.

Ensuite, puisqu’ils coupent les ponts avec leur famille et leur monde, ils perdent tous leurs repères culturels et moraux, souligne Lorraine Derocher, chercheuse à l’Université de Sherbrooke. Même le vocabulaire qu’ils ont utilisé toute leur vie n’a plus de sens. C’est ce qu’elle appelle le choc des réalités. Pour ceux qui découvrent que les rituels auxquels ils ont participé étaient en fait des agressions sexuelles, des crimes, «c’est dramatique.»

Aux prises avec une détresse extrême, certains songent au suicide ou tentent de mettre fin à leurs jours. D’autres persistent à reproduire l’univers fermé de la secte ou encore perdent les pédales devant la soudaine liberté qui s’offre à eux.

Chez Info-Secte, les demandes d’aide de jeunes de deuxième génération (qui ont passé une bonne partie de leur enfance dans une secte) sont en nette augmentation ces dernières années. Mais les ressources sont peu nombreuses et mal outillées, affirment M. Kropveld et Mme Derocher. Il existe cependant des moyens tout simples pour apporter un peu de réconfort. «Ce qui aide, c’est l’attachement à des personnes significatives, qui donnent un nouveau sens aux choses, naturellement», dit Mme De­rocher.

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Sources :
Le Soleil Québec
Centre info-secte
Université de Sherbrooke
Photo droits reservés AP

LORRAINE DEROCHER.
Vivre son enfance au sein d’une secte religieuse. Comprendre pour mieux intervenir.
Presses de l’Université du Québec, 183 pages

Pour toute demande complémentaire:
Centre Info-Secte Québec / Cult-info center Québec

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